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Littérature vietnamienne en langue de Molière

La vie misérable d'un manuscrit - LÊ ANH HOÀI

Thứ ba ngày 7 tháng 8 năm 2012 12:00 AM

Je suis un manuscrit, un document, un produit virtuel de notre époque, résidant dans la mémoire d’un ordinateur. Et si je suis imprimé sur papier, j’aurai bien sûr la même apparence que tous les manuscrits existant dans le monde.

Mon propriétaire/père est un jeune écrivain (c’est ce qu’il pense). Sur les deux aspects, quelque chose ne va pas, je pense. Jeune ? Il a déjà presque trente ans, très barbu et moustachu. Vu l’adage des anciens (de l’espèce humaine) « à trente ans, la jeunesse s’en va », je trouve qu’il n’est plus jeune. Sans compter qu’il fait plus vieux que son âge. Peut-être, parce qu’il réfléchit trop sur la vie. Ecrivain ? Qui confirme qu’il l’est ? À un certain moment, j’ai pensé naïvement que tous ceux qui écrivaient étaient écrivains. Plus tard, j’ai réalisé que dans ce pays, sont appelés écrivains seulement ceux qui sont admis à l’Association des écrivains. Ceci est très important lors de discussions autour d’un thé, d’une bière, d’un verre d’alcool ainsi que dans les oraisons funèbres.

Plus tard, j’ai appris encore ce que seuls les gens qui ont vécu des hauts et des bas dans le milieu connaissent. Une fois qu’on est admis à l’Association des écrivains, même si on a plus de quarante ans, on est toujours « jeunes écrivains ».  Dans ce pays, l’écrivain est un objet particulier, et les attributs ordinaires sont déformés quand ils lui sont attribués. Il existe toujours comme sa propre ombre. Et beaucoup préfèrent cette situation.

Je lui suis reconnaissant, car c’est en réfléchissant sur la vie comme évoqué plus haut qu’il m’a mis au monde (par clonage – tandis que les autres moyens, même la masturbation sur une feuille de papier, ne peuvent pas donner le produit que je suis).

À propos, j’exprime également ma haine vis-à-vis de ceux qui nous considèrent comme des « enfants spirituels ». Nous sommes apparemment des « enfants », mais en réalité, nous sommes égaux, voire supérieurs à l’auteur dans certains cas. Dans pas mal de cas, l’écrivain naît grâce à l’œuvre.

Je suis né un beau jour, sur la mer, où la visibilité était supérieure à dix kilomètres, selon les prévisions météos de la Voix du Vietnam. Il m’a mis au monde avec irresponsabilité : au début, il a écrit ma première partie sur une sale feuille de papier. Cette feuille était écrasée, mélangée dans sa poche avec la monnaie, des clés, des préservatifs et une série d’autres choses sans valeur. Une dizaine de jours après, en retrouvant cette feuille par hasard, il se souvint de moi, et il tapa sur l’ordinateur. Les quatre jours suivants, avec la même façon de travail très désordonné, tantôt très tôt le matin, tantôt au milieu de la nuit, tantôt pendant quelques heures, tantôt pendant une dizaine de minutes, il forma mon corps petit à petit. Là-dessus, je me trouve exactement comme un enfant qui prend corps dans le ventre de sa mère. Comme un phénix né des cendres, je me faufilai entre les autres fichiers dans la mémoire de l’ordinateur, comme l’ombre d’un fantôme, je devins de plus en plus net, relevai la tête pour me chercher une place.

Il faut dire également que lui (mon auteur/propriétaire/père) est perfectionniste (loin de son attitude irresponsable quand il a eu l’idée de me créer). Après m’avoir créé, il pesait les mots un à un, supprimait les mots superflus comme un pâtre qui enlève des cigales sur le ventre du buffle. Parfois, il sourcilla, s’arracha les cheveux et supprima un long passage. J’avais mal partout, mais après j’ai compris, s’il avait laissé ces passages, à la naissance, j’aurais été comme un enfant portant sur le corps des taches, des bosses, des mains à six doigts ou une queue.

Ainsi, je suis né, comme un récit complet (l’auteur m’appelle « nouvelle ») avec un titre, une ouverture et une fin.

Faut-il que je me présente ? Quelques éléments comme le tour de taille d’une miss : 3.425 mots, 11.667 signes, espaces non compris. Je suis divisé en 24 paragraphes et en cas de police 14, je comprends 227 lignes, réparties sur 6 pages A4.

Je ne faisais pas attention à mon contenu jusqu’au jour où un autre manuscrit du même auteur me l’a demandé. Quand j’ai répondu que je ne le savais pas, il m’a regardé comme si je venais d’une autre planète. Il grinça les dents :

- Ta mère ! Espèce de littérature d’ordures ! Tu oses être fier de toi ? Nous sommes les manuscrits ou des articles du propriétaire, nous rapportons de l’argent. Et toi, qu’est-ce que tu rapportes pour être si fier de toi ?

Il a failli mettre à exécution la menace de me déchirer, même s’il savait qu’il en était incapable, mais je frissonnais quand même.

Ensuite, j’ai fait attention. J’ai appris que je parlais de la barbe d’un artiste. J’étais fier : je faisais un travail noble, mais j’aurais aimé parler de ses yeux ou de son cœur.

Tout était assez compliqué avant que je comprenne que je suis différent des autres nouvelles. À commencer par l’attitude d’un vieil écrivain – rédacteur du journal le plus important de l’Association des écrivains, celui que le jeune écrivain respecte beaucoup et à qui il m’a présenté.

D’un air supérieur, il m’a reçu, m’a mis (plus précisément, une version imprimée de moi) sur le tas de papiers désordonnés sur la table. Au bout de quelques jours, des papiers dont d’autres manuscrits m’ont poussé jusqu’au bord de la table. Les deux tiers de mon corps étaient en l’air, comme dans les films d’aventure. Je risquais de tomber dans un précipite du sommet d’une haute montagne abrupte.

Près d’un mois plus tard, comme mon auteur insistait, le vieil écrivain m’a retrouvé après une longue recherche. Il a mis près d’une demi-heure. En retournant les papiers, il en profita pour rouler en boule certains objets, dont les manuscrits non lus comme moi. J’avais le cœur serré quand sa main qui ressemblait à un régime de bananes me toucha.

-  Voilà. Merde ! Pourquoi vous écrivez une nouvelle au lieu d’un article de journal ? Et quoi ? Une barbe ? Pourquoi une barbe ?

Peut-être par curiosité et par pitié, il m’a lu pendant 16 minutes, laissant tomber plusieurs (environ 8) paragraphes.

Le lendemain, il a rencontré mon auteur.

-  Je l’ai lu, même très bien lu.

Silence étouffant.

- Ça ne va pas.

-  …

- La littérature doit s’orienter vers quelque chose de beau, de noble, bref vers le bien. Mais vous, vous parlez de choses banales. Une littérature noble doit décrire, même montrer l’âme de l’homme, tandis que vous, vous parlez de la barbe et de la moustache.

(J’ai reconnu tout de suite son erreur. Pourquoi n’écrit-t-il pas sur les yeux de l’artiste ?! S’il était talentueux, il devrait choisir de parler de l’âme. S’il avait un grand talent, il devrait toucher le monde mystérieux).

- D’ailleurs, la littérature doit être belle, souple, elle doit s’envoler. Vous faites des phrases simples comme pour un article de journal. Peut-être, vous y êtes habitué. Non, ne le pensez pas ! Qu’est-ce que la beauté littéraire ? Vous avez banalisé la littérature…

- Et puis, il faut trouver les caractéristiques, celles d’une couche sociale, d’une époque. Vous décrivez les sentiments banals d’un artiste qui laisse sa barbe pousser, puis la rase. À quoi ça sert ?

Mon auteur rentra d’un pas chancelant, il me caressa pour me consoler, mais je résistai. J’étais humilié. Il sembla connaître mon attitude, haussa les épaules. Ses doigts étaient crispés comme s’il voulait me déchirer. Je frissonnai. Une poubelle juste à côté. Bien sûr, ce n’était que mon incarnation – c'est-à-dire mon corps – mais un acte comme celui-là ne peut pas être sans relation avec l’âme. Comme la salive crachée par hasard sur le visage de quelqu’un. C’était toujours une humiliation.

Quand retrouverais-je ma forme ?

Mais il a relâché les doigts et m’enfonça dans son cartable.

Lui et moi, nous soupirâmes.

Il m'a emmené à une autre revue qui relève également d’un organisme chargé des arts et des lettres très influent. L’éditrice écrivain s’est montrée ouverte :

- Vous savez, il y a un concours de nouvelles, si vous y participiez ?

- Oui, c’est comme vous voulez, mais je voudrais que vous lisiez et que vous commentiez ma nouvelle. J’en serai déjà très heureux.

- C’est bien, la jeunesse. Le pays a besoin d’une littérature comme celle-ci.

L’écrivain m’a lu avec beaucoup d'attention, à plusieurs reprises, elle avait l’air de me respecter, elle a pris soin de me mettre dans un coin.

Au cours d'une lecture, elle murmura:

- C’est nouveau, peu de gens écrivent comme ça. Une histoire qui n’a l’air de rien, mais qui est très impressionnante...

À l’entendre, je ne savais pas si c’était un compliment ou un reproche.

Puis elle m'a emmené voir un homme mince qui fumait sans cesse. Il paraît qu’il était rédacteur en chef adjoint. Il m’a reçu, il a pris son stylo pour accentuer les ponctuations floues. La cendre brûlante tomba sur moi.

- La nouvelle est bonne, nouveau style, oui, la priorité est donnée aux nouveaux et jeunes écrivains. Oui, c’est bon.

Il m’a remis dans un dossier, moi qui venais d’espérer énormément, je suis tombé dans une déception totale.

Tout était noir, une voix soutenue retentit :

- Tu écris sur quoi ? Moi, c’est un amour tragique. Le garçon aime une jeune fille, mais celle-ci est séduite par un homme expérimenté qui est le frère adoptif du garçon. L’homme la séduit uniquement parce qu’il hait les femmes. Après…

- Ça suffit, tais-toi... tu chantes tout le temps cette triste chanson d’amour. - Une voix rauque résonna.

- Pourquoi triste ? Il est parti, rempli de tristesse, mais après il est revenu pour l'amour de son pays natal !

- C’est quand même triste. Quand on aime son pays natal, il faut se battre, comme moi. Je suis une épopée sur la lutte pour la défense de la Patrie, une histoire très humaine et pas triste comme la tienne.

Les voix d’autres manuscrits résonnèrent. Ils racontèrent à haute voix leur histoire, comme les marchands à la criée. Ils voulurent se vendre. Ils voulurent échapper au dossier. J’avais froid.

Une petite voix retentit à côté de moi.

- Je me suis égaré, je suis un garçon « histoire pour enfants ».

Il sanglota :

- Très peu peuvent sortir d’ici. Surtout moi. Qui sait que je suis là ?

Peu de temps après, j'ai appris beaucoup de choses. La femme « chagrin d’amour » a été écrite il y a cinq ans, elle est passée par plusieurs rédactions. Elle murmura:

- Tu sais, j’ai été publié une fois dans une revue sur le sexe – l’amour – la famille. Je ne le dis qu’à toi !

C’est elle qui a parlé de mon contenu aux autres manuscrits dans ce dossier. Il traite de la barbe, la barbe et quelque chose comme la moustache... À partir de ce moment, je suis considéré comme un excentrique. Mais à cause de cela aussi, plusieurs autres manuscrits ont fait attention à moi, ils ont même appris à me connaître. Ici, on préfère ce qui est étrange, même si on veut être « populaire ».

Quant au vieil écrit rédigé il y a plus de dix ans, il a révélé :

- J’ai été publié plusieurs fois. Au début, j'ai été un essai sur un blessé de guerre qui a ensuite réussi dans les activités économiques, après j’ai été transformé en une histoire pour la radio, on m’a lu à la radio de la province... Mon auteur m’a transformé en fonction d’un concours. Rassure-toi, je vais sortir bientôt d’ici. Je suis facile à publier, et mon auteur est aussi très débrouillard. Il connaît tous les jurys !

La plupart des autres manuscrits semblaient garder secrets leur destin et les relations de leurs auteurs. Mais peu à peu, j’ai su tout ce qu’ils ont laissé entendre. Presque tous avaient été transformés, modifiés pour convenir à tous les types de journaux et de magazines. C'est leur chance de changer de vie.


Ma vie a changé. Plus exactement, je vais naître.

Plus littérairement, je vois l’horizon briller.

Voici l’histoire. En fin d'après-midi, lorsque les éditeurs commencèrent à rentrer, nous nous sommes regardés avec ennui. Une longue nuit désespérée nous attendait.

Soudain, j'ai entendu les voix connues, celles de l’homme mince et de l’écrivain qui m’a reçu des mains de mon auteur.

- Hé, on publiera ta barbe dans le prochain numéro ?

- Ah oui, ça fait longtemps déjà. Je vais contacter l'auteur.

- Dis-lui d’envoyer une photo. Cette année, le concours présente les auteurs et leurs œuvres.

Impossible à croire même si c'était vrai.

À l'intérieur du dossier, le silence régna.

Ça faisait longtemps que personne n’était sorti d’ici.

Le garçon « histoire pour enfants » attrapa mes cheveux, coléreux, il rompit le silence :

- Emmène-moi avec toi !

Je l'ai regardé, avec pitié.

La femme «chagrin d’amour » grince des dents, elle m'a regardé avec haine. Qu’est-ce que je lui ai fait ? J’ai fait exprès de me montrer fier.

Seul le vieux à la voix rauque se montra amical :

- Félicitations, félicitations! Allez-y, le suivant, ce sera moi !

Je le regardai. Suis-je comme lui ? Une idée arriva. Mais, la sensibilité m’a aidé à lui répondre par un sourire poli. Le vieil homme fait semblant d’être joyeux.

- Allez-y, on soutient maintenant ce qui est nouveau, jeune. Quelle chance ! Mais moi, personne ne peut m’abandonner. Je suis une valeur sûre.

J’ai compris tout de suite qu'il était en train de se consoler.

Tous les autres avaient honte.


Mais, comme dit  la chanson, "le jour heureux est encore loin".

La paix ennuyeuse, quotidienne revint dans le dossier, sans compter le triomphe de certains contre moi. Dans cette compétition sans merci, la vie des uns, c’est la mort des autres. J’ai compris cela. Celui qui serait en dehors de cette compétition, c’est le garçon « histoire pour enfants ». Il n'était pas capable de jouer la concurrence. Si on s’intéressait vraiment à lui, ce n’était pas par fraternité, mais parce qu'il était inoffensif.


Dans le dossier, il y avait un gars très maigre. Tapé avec une vieille machine à écrire, il n’était  pas très lisible. Il se montra toujours respectueux vis-à-vis des autres, il les salua tous même si aucun ne daigna le regarder. Pour l'estime de soi, je me montrai poli avec lui, même si je pensais qu’il était comme le garçon « histoire pour enfants » – un étranger.

La femme « chagrin d’amour » comprenait ma pensée, elle est venue me consoler :

- Ne t’inquiète pas, je sais que tu es doué… Si on l’a dit, c’est…

Je ne pouvais pas être tranquille, je me tortillai, malheureux. La femme « chagrin d’amour » reprit :

- Rien ne se passera... mais si c'était le cas, tu devrais aller voir une personne expérimentée.

Elle me montra le maigrichon. Je ne l’ai pas crue.

Mais je vois encore le maigrichon. Il est venu à moi. Toujours la même attitude. Doucement :

- Je sais que la morasse de ce numéro n’est pas encore faite.

- ...

- Donc, c’est une bonne nouvelle. Mais ...

Je ne pouvais plus respirer.

Il a presque chuchoté :

- Le rédacteur en chef est en mission. C’est lui qui prendra la décision finale.


Donc, mon histoire n'est pas simple. Mon destin n'est pas simple. Je le hais. Mais j’ai foi dans l’avenir. Ainsi de suite.

Une nuit, quand tous dormaient et qu’on n’entendait plus que le ronflement du vieux à la voix rauque, les sanglots du garçon « histoire pour enfants » et les grincements de dents de quelqu'un dans un rêve, le maigrichon s'est soudain approché de moi et lâcha une phrase aussi légère que le vent :

- Monsieur... (C’est le mot qu’il utilise pour parler à tout le monde, pas seulement à moi), vous êtes difficile à utiliser (soupir) ... comme moi...

Je rebondis, le couteau dans le cœur, j'ai failli crier : «espèce de bâtard, de haillons, d’impuissant...", mais je ne pouvais pas prononcer ces mots. Le maigrichon chuchota encore :

- Je suis né d'un auteur à «problème», même si je n'ai rien fait de mal. Mais vous, je sais que vous aurez des problèmes. Je suis désolé, mais vous aurez peut-être moins mal en le sachant à l’avance...

Il disparut dans l'obscurité.

Cette nuit-là, je n’ai pas pu dormir et j’ai appris que le maigrichon avait également passé une nuit blanche, qu’il avait cette habitude. Une grande crainte invisible m'entourait, je blâmais mon auteur. Vers l’aube, une lueur d’espoir a soudain flashé en moi : ce n’est pas la fin, il peut me corriger. Je suis prêt à souffrir pour être réparé. Je pensais aux Miss du Venezuela qui, pour avoir les tours de taille 90-60-90, sans parler de la forme adorable des seins et des fesses, devaient avoir recours à la chirurgie. Leurs visages ont été également opérés.

La chirurgie, j'avais besoin d'une intervention chirurgicale.


La prédiction du maigrichon est devenue réalité le lendemain matin.

Une voix indeible retentit sur notre tête, elle était froide, non, à vrai dire, il manquait quelque chose. Plus tard, après des hauts et des bas sur les tables empilées de manuscrits, j’ai compris que cela s’appelait le manque d'identité. Et puis, après avoir roulé longtemps entre les autres manuscrits, j'ai appris que cacher cette vérité demandait un effort formidable.

Un autre truc bizarre était lié à cette voix : elle était émise sur une gamme extraordinaire. En vivant dans l'ombre, nous étions habitués à juger à la manière des aveugles. Ce qui était terrible avec cette voix, c’est qu’on ne pouvait pas savoir dans quelle posture de l'orateur elle est émise – trop bas pour une personne debout, trop haut pour une personne assise.

- Tiens, pourquoi pensez-vous publier cette nouvelle?

Une voix douce qui cache une certaine menace.

- Elle est bonne... affinée – La voix de l’homme maigre, un peu rauque, mais pas à cause des effets du tabac comme d’habitude.

- Quel raffinement!

Une plaisanterie qui n’en est pas une.

- Barbe et moustache, on mourra un jour de cette histoire de barbe et de moustache.

C’était encore plus qu’une plaisanterie, c’était comme une balle dans l’air sur le point de tomber.

- Il y a un professeur de mathématiques célèbre. Lorsque les gens font un commentaire sur sa barbe, il rit du bout des lèvres : "Pourquoi ne pas dire quelque chose de plus important, au lieu de la barbe et de la moustache?"

La voix du rédacteur en chef adjoint récupéra l'équilibre et maintint l’entente.

- ...

- C'est un professeur de maths, ici, c'est la littérature.

La balle siffla au-dessus de nos têtes, faisant vibrer l'air entre les deux hommes et le dossier contenant les manuscrits.

- Il faut comprendre que les idées sous-entendues dans une nouvelle ou un poème peuvent nous tuer ! Nous – vous et moi – pourrons mourir simplement de l’interprétation d’une métaphore. Fini le poste ! En taule !

- Vous dites ?!

Le rédacteur en chef adjoint maigre balbutia. Sa voix fut émise à une hauteur supérieure à l’autre, mais elle fut comme les ailes d’une chauve-souris déséquilibrée, instable. A peine était-t-elle apparue qu’elle disparut déjà.

- Vous voyez? Heureusement que je suis rentré à temps. Sinon que se passera-t-il? Si quelque chose arrive, il me suffit d'expliquer que j’étais en mission et que ne j’étais pas concerné. Et vous, vous pourrez assumer la responsabilité? Vous pourrez?

Le rédacteur en chef fit une petite pause :

Fini le poste ! En taule !

Fini le poste ! En taule !

Fini le poste ! En taule !

Fini le poste ! En taule !...

Ces mots retentirent avec une puissante force interne, volant partout dans la petite pièce humide pleine de manuscrits et de fumées. Ils avaient pour effet d’opprimer et d’avertir. Comme la cloche d’une église qui va droit au cœur. Nous, même si nous savions que nous ne pourrions pas “perdre notre poste” et “aller en taule”, qu’au pire des cas, nous resterions dans la situation actuelle, nous avions froid au dos. La voix rauque du vieux s’est éteinte aussi. Il n’osait pas respirer.

Un long silence.


Comme dans le prolongement d’une symphonie, la voix du rédacteur en chef retentit de nouveau, avec insistance, tolérance, comme le son d’un violoncelle doux et expressif:

- C’est l’histoire d’une barbe, non ? Le personnage célèbre laisse pousser sa barbe, puis quand il l’a rasée, les gens ne le reconnaissent plus, n’est-ce pas ?

- Pas vraiment...

La voix du rédacteur en chef adjoint ressemble maintenant au son doux, faible, fragile, très lointain d’une flûte.

- Quoi alors ? Je ne l'ai pas lu, mais en entendant quelques mots, je comprends.

- Oui...

Le son du cello fut encore plus insistant:

- Ce n’est pas une blague ! C’est l’idéologie ! C'est trop dangereux !

- Un personnage si célèbre. S’il n’a plus de barbe, que lui restera-t-il? Alors (une octave plus bas) il est vide, n’est-ce –pas ?

- Oui – Le son caressant, errant de la flûte.

- Un (très doucement) dirigeant, avec une barbe aussi respectable, seulement... seulement... seulement (retour à l'intensité sonore d'origine) la barbe a de la valeur ?!

- Oui - Le son hésitant, confus de la flûte.

- Oui, oui, espèce de singe.

On frappa fort sur la table. Nous sursautions tous. Le coup fut aussi glorieux que le son du tambour dans le dernier mouvement de la Symphonie de la Victoire.

- Où est-il, où est-il ?

Accélération, rapidité comme si tout l'orchestre jouait simultanément.


Les doigts parfumés au tabac glissaient dans le dossier. Je fus vite sorti. Ebloui par la lumière surprenante et par un pressentiment de la mort, je sentis à peine les doigts jaunis par la fumée me passer à une main aux doigts courts. Cette main me réceptionna et presque simultanément, une autre main aux doigts courts m'attrapa dans l'air, en position d’attaque des deux côtés. Mon corps en papier fut tordu et déchiré en des centaines de petits morceaux.

Mon âme fuit rapidement les dix doigts de banane. En baissant les yeux, je vis un extraordinaire spectacle de pluie de papier en petits morceaux.

Note de l'auteur: J’ai dû beaucoup réfléchir avant de donner un titre à cette histoire. Enfin, j'ai été temporairement satisfait du nom que vous voyez. Il évoque un peu "Les Misérables" de Victor Hugo, ou même le titre du journal de Nguyen Ai Quoc à Paris ("Les Parias "). Plus tôt, j'ai choisi le titre «Les vicissitudes d'un manuscrit" (qui évoque "La vie de mademoiselle Luu") ; "Confidence d'un manuscrit" (qui évoque «Chronique d’une mort annoncée "- G. G. Marquez).

Traduction: Trần Văn Công
Revue par Jean-Marc Turine
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