Un
creux éblouissant au bord du lac. Une musique confuse en jaillit comme
l’écho de la nuit profonde. La chanson vante l’époque innocente des
bicyclettes. Deux voix, une masculine et une féminine. Mélangées et
enchevêtrées comme une chaîne détendue, tremblante, qui mord les roues
dentées. L’époque des bicyclettes est déjà lointaine. Pour les
chanteurs. Pour la ville où les véhicules de haute technologie
envahissent peu à peu les espaces urbains. Jour et nuit. Soleil et
pluie…
Il
découvre la lumière dès qu’il est de ce côté du lac. Une distance pas
très grande sur la surface de l’eau légèrement soufflée par le vent. De
petites ondulations le bercent sporadiquement. Le creux éblouissant
gonfle sur les vagues, frémissant et vacillant comme un pinceau souple
qui remue. Dans la nuit, la lampe qui se fait rare à une époque où la
ville économise de l’électricité attire tous les regards. Au moins, elle
démontre l’importance de l’endroit à éclairer toute la nuit. C’est un
distributeur automatique. Il le reconnaît au bout d’un demi-tour du lac.
Il s’approche de la machine. Un creux éblouissant avec des cadrans où
apparaissent chiffres et lettres. Les portes sont en verre tellement
transparent qu’il faillit s’y cogner la tête. Une ligne écrite en deux
langues. Il arrive à lire seulement le mot « tirez ». Une
poignée en métal gris plomb rouillée par les mains d’hommes. Et le chant
léthargique résonne de l’intérieur de la vitre. On ne sait pas pour
qui. Mais pas pour lui, c’est sûr.
Dans
une ville de plusieurs millions d’habitants, personne ne le connaît.
Serait-ce une chanson dédiée à lui seul en ce moment ? Pour lui seul. Et
les voix en duo d’un homme et d’une femme. « Tourne, tourne, tourne, l’amour d’autrefois… ».
Il a le courage de tenir la poignée de la porte, il la tire et passe la
tête à l’intérieur. Personne. Il est rassuré. Il a un abri pour le
reste de cette nuit.
***
Il
a été chassé du banc de marbre de l’autre côté du lac alors qu’il était
à peine assoupi. Après toute une journée d’errance dans la ville
poussiéreuse. Et le bruit semblait boucher ses oreilles. La nuit est
tombée il y a longtemps, il s’est allongé sur le banc glacé. C’était
mieux que de dormir à demi sur les pelouses peuplées de moustiques. Et
les bandes de jeunes voyous retournaient toujours toutes ses poches.
Avec une question très menaçante, où est l’argent ? Il en tire
l’expérience depuis ce matin. Il ne remet plus les poches de pantalons à
leur place, il les laisse pendiller sur les cuisses comme les oreilles
frétillantes d’une vache.
Le
sommeil venait d’arriver. A vrai dire, un rêve étrange. Il voyait sa
mère revenir soudain. Avec un homme aussi mal habillé que les hommes de
son pays natal. Il parlait une langue bizarre. Il entendait à peine lẩu, mẩu, tẩu, hảo à! Beaucoup de “hảo à!”. Les
larmes de sa mère pleuvaient. Elle le regardait sans rien dire. C’était
pareil le jour où sa mère est partie. Un après-midi avant la tempête.
De splendides et diaboliques éclairs jaunes imprimaient sur le chemin au
bout du village l’ombre tremblante et vacillante de sa mère qui
semblait tomber. Il savait que sa mère était en train de pleurer. Comme
d’habitude, il n’osait que la regarder en silence.
Il
croyait qu’après la tempête, sa mère reviendrait, parfumée et splendide
comme les autres femmes ayant quitté le village en saison des pluies et
des tempêtes, probablement avec des cadeaux. Et aussi un bébé. Le petit
Khi, son ami, lui avait dit que sa mère à lui allait chercher aussi son
bébé. Une soeur. Très jolie. Qui ne mangeait que du lait importé ! Il
n’avait jamais eu de petit frère ni de petite soeur…
Sa
mère est rentrée à ce moment-là. Sans ramener de bébé, mais un homme.
Cet homme dégageait une odeur nauséabonde. Comme s’il sortait d’une
étable de chèvres. Avec une voix au débit rapide dans une langue qu’il
ne comprenait pas du tout. Et sa mère continuait à pleurer. Comme au
jour de son départ. Un après midi avant la tempête. La lumière
éblouissante enveloppant sa mère éclataient en miettes sans atteindre la
terre.
Une
voix d’homme grave et rauque au dessus de sa tête. Gamin, qui te permet
de t’allonger ici ? Cette fois-ci, il a compris. A rebondi rapidement
comme un élastique tendu à l’avance. A levé la tête, désorienté. Ce
n’était pas l’homme qui accompagnait sa mère. A côté de lui, une femme
aux grands yeux noirs foncés le regardait fixement. Troublé, il tendit
les mains pour sortir les poches retournées de son pantalon. Recula d’un
pas. Deux pas. La femme s’esclaffa soudain, il croit que je viens
acheter des marchandises ! L’homme efflanqué passa sa main sous
l’aisselle de la femme, lui attrapa un sein pour l’asseoir sur le banc
encore chaud. De son côté, il recula vers un tronc d’arbre caché dans le
noir, s’assit pour observer. Quelle chance ! C’étaient des gens d’un
certain âge qui n’avaient d’attention que l’un pour l’autre. L’homme se
rejeta en arrière, ouvrit grand ses bras maigres pour les poser sur le
dos du banc en marbre. L’ombre de la femme assise à côté montait et
descendait, son visage ne se voyait pas. Des clappements de la langue.
Des crachements. De temps en temps, l’homme tendait son corps,
gémissait. Très longtemps. Quant à lui, il recommença à avoir sommeil.
Ne pouvant pas rester là à attendre, il se leva et se diriga vers
l’autre côté du lac. Vers l’abri illuminé miroitant sur le lac. Et vers
le chant nonchalant comme si l’interprète ne voulait pas chanter.
Murmures. Bruissements…
***
Derrière
la porte, un espace au carrelage brillant juste pour dérouler une natte
personnelle. Plein de pas d’homme. De traces de chaussures plutôt. Des
traces sales superposées comme les carreaux. Plus sales même. De sales
petits morceaux de papier s’entassent au pied de la machine. Mélangés
avec les cadavres des éphémères agonisants. Des ailes fines battent,
dégageant de la poussière blanche au rythme de la chanson qui résonne du
distributeur. “Donne-moi donne-moi un fils…”. Il pouffe de rire. En ville, il y a aussi des gens qui demandent à adopter des enfants ? Comme dans son pays natal ?
Il
franchit les portes de verre transparent. L’air tiède faisant revenir
son sommeil alourdit ses paupières. Le sol est trop sale. Il hésite.
S’accroupit soudain et étale partout les morceaux de papier. Il a donc
une place pour se coucher. Il s’enroule comme un petit ver dans un cocon
éclairé à giorno. S’endort. Sans prendre la peine de s’intéresser à la
musique qui résonne régulièrement. Ni aux battements bourdonnants des
ailes d’éphémères en spasmes mortels entre les morceaux de papier comme
une berceuse désespérante.
Il
ne sait pas pendant combien de temps il a dormi. Dehors, il commence à
faire jour. Les vitres carrées donnent sur la surface du lac légèrement
couverte de brouillard. On entend les pas lourds des gens qui font de la
gymnastique autour du lac. Leurs silhouettes disparaissent
fantasmagoriquement dans le brouillard comme dans un théâtre d’ombres.
Leurs visages ne sont pas visibles. Ils ont l’air doux. Pas l’air de se
préparer à se battre. Pourquoi voit-on tellement de visages agressifs ?
Dans les gares ferroviares et routières. D’interminables disputes et
remontrances se font entendre dans les innombrables restaurants et
échoppes des rues. Il a tenté plusieurs fois de demander du boulot dans
des restaurants. Les enfants de son village le lui recommandent. Entre
donc, on te donnera à manger et on te demandera de rendre de petits
services. Mais chaque fois qu’il voyait le visage fourbe des patrons, il
reculait. Hier, il s’est vu offrir un seul pain par une bonne vieille
dame près de la gare routière. Il a ramassé une bouteille d’eau minérale
déjà entamée et abandonnée sur un banc en fer dans un abribus. Il a
assez mangé. A repris son errance à travers les rues. Parfois, il
semblait revenir au même endroit. Aux mêmes troncs d’arbre rugueux de
cicatrices penchés sur la route. Des torsades de fils électriques
difficilement installés ne semblent appartenir à personne. Dans le cas
contraire, comment reconnaitre son fil? Et des foules pressées qui
sortent on ne sait d’où. Se faufilent, se bousculent pour avancer. Comme
une tempête d’hommes. Pas de temps pour se saluer. Ni se céder le
passage…
Le chant du distributeur se tait soudain. Une foix de femme retentit clairement. Alerte
urgente à la tempête, la tempête numéro 6, vers quatorze heures
aujourd’hui la tempête numéro 6 s’abattra sur les provinces littorales
du Nord. La vitesse du vent pourra atteindre les degrés dix, onze. Le
degré sera de onze, douze dans l’épicentre de la tempête. Le vent coulis
dépasse le degré douze…
Les
signes avant-coureurs de la tempête sont apparus il y a quelques jours.
Quand il était encore chez sa grand-mère maternelle. Elle s’est plainte
de courbatures et de vertige. Les lumières de l’après-midi devinrent
éclatantes derrière les haies de bambou au bout du village. Le chien
noir leva fébrilement la tête vers le ciel. De temps en temps, il
s’élançait on ne sait où. Longtemps après, il revenait d’un pas
chancelant et s’allongeait sur la véranda. De son côté, il a fui sa
grand-mère pour monter dans le train avec les enfants qui travaillent en
ville. Ils ont dit qu’ils y avaient, semble-t-il, vu sa mère en bonne
forme. Assise à l’arrière d’une moto de marque. Bien sûr, personne n’a
pu lui parler. Juste la voir dans la rue.
A
la descente du train, il quitta les enfants. Erra seul dans les rues.
Regarda attentivement les motards. Mais il y en avait trop. Il a
certainement laissé passer quelques couples au milieu d’une population
dense, à s’en brouiller la vue. Il fallait chercher dans des rues plus
désertes pour mieux voir. Au bout de presqu’une journée, il n’a pu en
trouver aucune. Surtout celle où les enfants de son village affirmaient
avoir vu sa mère.
Il
n’apprend la nouvelle sur la tempête que maintenant. Elle est déjà très
proche. Sa grand-mère n’a peut-être plus mal au dos cet après-midi.
Elle doit être chez sa tante. Toujours ainsi. A chaque
fois que la tempête arrivait, grand-mère et son petit-fils se tenaient
la main pour se rendre chez la tante. Mangeaient de bons plats.
Regardaient la télé aussi. Sa mère restait seule à la maison. Il ne
savait pas pourquoi. Après la tempête, ils rentraient main dans la main.
La saison des tempêtes est encore longue, pourquoi tu ne restes pas là,
maman ? dit sa mère. Sa grand-mère édentée sourit, je reste chez moi, à
quoi bon aller ailleurs ?
***
Il
y a des bruits d’hommes très proches. Il se réveille subitement. Les
portes en verre ont été grandes ouvertes par quelqu’un. Un groupe de
jeunes remuants aux cheveux en bataille. Des vêtements bleus et rouges
en lambeaux. Pas beaucoup plus grands que lui. Errent déjà à cette heure
dans la rue. Leurs mères sont-elles à la maison à cette heure ? Quand
la sienne était à la maison, elle ne le laissait jamais sortir le soir.
Le soir en ville, il y a des foules d’adolescents dans les rues. Y
a-t-il aussi des enfants abandonnés en ville ? Même dans leurs maisons ?
Se réunissent volontiers pour faire des folies toute la nuit?
Il
semble que ces adolescents ont veillé toute la nuit. Des visages
harassés et ensommeillés. Des pas nonchalants vont et viennent à
l’extérieur du distributeur. Une jeune fille qui sent les fruits mûrs
s’approche de lui. Sort de sa poche un tas de billets très chiffonnés.
Sans daigner le regarder, elle les glisse dans sa main, pour toi, va
prendre ton petit déjeuner ! Tous rient. Un garçon qui a à peine
quelques poils au menton rigole : Reste là, avec sa jupe, elle va
retirer de l’argent, tu pourras voir à volonté… ! La jeune fille donne
des coups de poings répétés sur les épaules du garçon qui court
fébrilement autour du groupe. Il comprend. Prend les billets et quitte
en catimini son abri chaud. Se met au bord du trottoir. Ne quitte pas du
regard le groupe très gai. Ce ne sont certainement pas des enfants
abandonnés. Ils peuvent retirer de l’argent de cette masse de fer
carrée ? C’est vrai. Lorsque la jeune fille quitte la lumière bleuâtre
devant les cadrans, elle agite dans sa main une liasse de billets en
polymère brillants comme s’ils étaient mouillés. C’est extraordinaire !
Il se rappelle les billets que la jeune fille vient de lui donner. Ouvre
la main pour voir. Quelques billets de deux milles. Un de cinq milles.
Il n’a jamais autant d’argent. Il remet une poche dans son pantalon.
Introduit les billets jusqu’au fond.
Des
nuages arrivent massivement on ne sait d’où. La lumière blanchâtre de
l’aube semble se condenser. En dépit du bruit des véhicules qui remplit
l’espace et qui fait écho sur la surface du lac infiniment ténébreux.
D’où viennent tellement de gens ? Au lever du jour.
Il
imagine que ces maisons grises, silencieuses, qui donnent sur la rue
doivent être de gigantesques nids d’hommes. Des hommes qui s’entassent
comme dans une termitière. Ils n’ont pas besoin de tempête pour affluer
vers la rue avec les véhicules chaque matin. Et des visages aussi
taciturnes et muets que ceux des termites. Au lieu des salutations, des
klaxons menaçants et stridents. Mais personne ne semble être gêné. La
foule avance placidement pas à pas. Résignée. Les citadins doivent
s’intéresser à beaucoup plus d’autres choses qu’à la tempête. S’ils sont
préoccupés par la tempête, c’est après son passage. Ils s’intéressent à
la somme qu’ils vont devoir débourser pour remédier aux conséquences.
Normalement pas beaucoup. Et personne ne se sent honoré en faisant la
charité. Des dizaines de tempêtes par an. Et des dizaines de millions de
cœurs…
La
tempête numéro six arrive plus tôt que prévu. On ne sait si c’est à
cause de la tempête ou des prévisions. De toute façon, les orages
commencent. Ils glissent subitement sur les feuillages et les jettent
massivement par terre. Les feuilles vertes et jaunes forment des boules
qui se poursuivent à qui mieux mieux dans la rue. Couvrent les
véhicules. Les visages. Les vêtements. Se faufilent entre tous les
espaces possibles. La foule dans la rue semble être emportée par le
vent. Se courbe sur les motos. Saute sur le trottoir pour doubler les
autres.
Il faut
rentrer maintenant. Il pense et suit les gens qui longent les vérandas
en direction de la gare municipale. Des craquements de branches qui
cassent se font entendre continuellement au-dessus de la tête. De temps
en temps, quelqu’un crie, ça va tomber, dégagez-vous ! Mais en général,
c’est sécurisant. Les maisons en ville sont solides. Ces dernières
années, même les parties agrandies ont été consolidées car l’Etat va
délivrer des attestations du droit de propriété même pour les parties
envahies. Les vieux arbres ont été taillés avant la saison des tempêtes.
Toutes les branches qui pouvaient casser. Dont on pouvait se
débarrasser.
La
tempête est vraiment arrivée. La gare est remplie de gens. Chose
étrange : parmi les gens couchés et assis ici, il y a des visages qui ne
montrent aucun signe d’impatience. Il semble qu’ils sont là depuis
longtemps, même s’il n’y a pas de tempête. Et qu’ils n’ont l’intention
d’aller nulle part. Etendent la natte en ordre dans un coin. Des
chaussures et des sacs de jute bien remplis sont installés autour. Des
hommes et des femmes enlacés dorment paisiblement dans les bruits
incessants des gens et du haut-parleur. Aucune notion du temps. Jour ou
nuit ? Qu’il fasse du soleil ou de la pluie, la lumière jaune dans
laquelle monte la fumée du tabac nauséabonde vient de quelques ampoules
rondes.
La
gare annonce le retard du train Nord-Sud. Il faut attendre jusqu’à
nouvel ordre. A cause de la tempête, les rails sont inondés de part et
d’autre. Il ne peut pas encore rentrer. D’ailleurs, ça ne sert à rien de
rentrer. De toute façon, sa mère ne pourra rentrer qu’après la tempête,
au plus tôt. Comme tous ses compatriotes partis avant les tempêtes.
Certains ne sont toujours pas rentrés après plusieurs saisons de
tempêtes. Peut-être, vivent-ils très loin. Impossible de savoir si la
tempête est passée dans son village.
En
regardant le panier de pain perché sur la tête d’une femme en guenilles
se faufilant entre des corps couchés pêle-mêle, il sent ses intestins
gargouiller. La faim ressentie depuis hier que les étrangetés de la
ville lui ont fait oublier a maintenant l’occasion de se manifester.
Sensations de mordillement et de brûlure dans le ventre. Vide. Il
cherche les billets dans sa poche. Assez pour acheter plusieurs pains.
Il choisit le plus grand. Chaud. Le parfum légèrement gras le fait
saliver. Le grand pain parfumé est pourtant vide. Les citadins mangent
peu ? Il est surpris de voir son pouce entrer facilement à l’intérieur
du pain à chaque fois qu’il en arrache un morceau. Il l’est encore plus
quand tout le pain est déjà dans son ventre. La faim rôde encore quelque
part. Il lui en faut encore un. Un verre d’eau que la vieille vendeuse
ambulante de thé lui donne comble la faim.
Les
vagues de vent de plus en plus fortes sifflent sur les toits. Les
gouttes de pluie frappent de travers les panneaux de publicité. De temps
en temps, des débris sont soudain emportés dans le ciel gris. La pluie
traverse les espaces vides sur la façade de la gare et tombe. A
l’intérieur, les gens reculent et se blottissent les uns contre les
autres. Plus de distance. Il monte sur le guichet. Assez large pour
qu’il puisse se coucher. Le ventre plein, les bruits réguliers et
incessants semblent le bercer. Dans un endroit où les sons insignifiants
sont amplifiés, quelle surprise, on s’endort facilement.
Dans
un rêve, les éclairs fragmentés s’enchevêtrent derrière les haies de
bambou vacillant au bout du village. Il fixe son regard dans cette
direction. Souhaite que sa mère ne rentre pas à ce moment. La tempête
fait rage encore sur les toits complètement trempés. La voix de sa
grand-mère est entrecoupée et tremblotante au rythme du hamac. « Oh la… le vent ramène la plante de moutarde au ciel… le persicaria odorata reste… ».
Les trous noirs chez sa tante sont effrayants. En dessous de l’autel.
Deux petites portes en voûte mènent aux deux pièces sur les deux côtés.
Et aussi les espaces vides en dessous des charpentes de l’ancienne
maison en bois. La tempête ne peut pas s’infiltrer dans le tabernacle
sur l’autel sombre et profond. Les toiles d’araignées rêveuses se
balancent légèrement. Sa grand-mère permet de balayer seulement une fois
par an à l’occasion du Têt.
Paniqué,
il se blottit contre sa grand-mère. Dans le noir. Ouvre grands les yeux
pour voir la haie de bambou lutter pour se tenir debout au bout du
village. Silencieuse. Abattue. La tempête a passé on ne sait quand.
L’atmosphère est dominée par l’odeur intense des feuilles. Il sent
clairement l’odeur des figues. Un grand pan de ciel apparaît derrière le
feuillage blanc touffu. Là où les figues sont serrées sur la branche.
Où il monte tous les jours pour les cueillir…
Quelqu’un
frappe fort sur ses pieds. Un cri dépourvu de colère, semble-t-il :
Bouge, pour que cette petite se couche un peu ! Il ouvre les yeux pour
regarder du côté de ses pieds. La femme aux cheveux épars et sales avec
une enfant dormant profondément dans les bras pose doucement celle-ci à
ses pieds. Toujours les voix d’humains serrés en désordre dans la
lumière jaune mélangée avec la fumée du tabac. Une voix ensommeillée
demande par haut-parleur de veiller à ses affaires. Il ne peut pas
savoir si la tempête prend encore ses ébats dehors. Néanmoins, une autre
tempête semble s’abattre sur lui.
Novembre 2007
Traduction: Trần Văn Công
Revue par Jean-Marc Turine